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son existence, à lui, est très indigne et assez méprisable, comparée à celle du conquérant et de l’explorateur ; mais, chacun faisant ce qu’il peut, et aussi faisant ce qu’il doit quand il se livre allègrement à sa passion vraie, le philosophe lui-même, oui, le philosophe a sa vie passionnée et dangereuse. Il a sa vie passionnée, sa passion étant la recherche obstinée et douloureuse de la vérité et lui-même étant de ceux « qui cherchent en gémissant » ; il a sa vie dangereuse, bravant, pour conquérir la vérité, les préjugés, les mépris des hommes, et, ce qui est plus douloureux, les résistances, les révoltes et les cris de souffrance du vieil homme qu’il faut toujours déchirer par lambeaux pour le dépouiller et pour libérer et instaurer l’homme nouveau. Voilà le petit champ de bataille et de douleurs du philosophe, qui ne laisse pas, lui-même, d’avoir sa grandeur ; et, comme dit Nietzsche, dans la page la plus belle qu’il ait écrite et dans une des pages les plus belles qui aient été écrites : « In media vita. — Non ! la vie ne m’a pas déçu. Je la trouve, au contraire, d’année en année, plus riche, plus désirable et plus mystérieuse, depuis le jour où m’est venue la grande libératrice, à savoir cette pensée que la vie pouvait être une expérience de celui qui cherche la connaissance, et non un devoir, non une fatalité,