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si d’autres se trouvent bien ou mal. Cet instinct leur dit que nous avons un but pour lequel on n’hésite pas à faire des sacrifices humains, à courir tous les dangers, à prendre sur soi ce qu’il va de pire. C’est la grande passion. Car le sujet n’est qu’une fiction. L’ego, dont on parle quand on blâme l’égoïsme, n’existe pas du tout. »

À l’inverse donc de la morale, la doctrine de la vie déploie les passions pour faire vivre l’homme d’une vie ardente et supérieure. Supérieure à quoi ? toujours à quelque chose, toujours à elle-même, et de plus en plus à elle-même, l’homme étant un être qui a pour nature, pour loi et pour but de se surmonter. La volonté de puissance, en sa fin, et peut-être bien en son fond même, c’est précisément la volonté de vie dangereuse ; et la vie dangereuse, première vie de l’homme, à remonter le cours des temps, est la seule vita vitalis, la seule qui vaille la peine de vivre et qui soit digne d’être vécue : et la décadence consiste précisément dans ce que tant d’hommes appellent le progrès, dans le passage de la vie dangereuse à la plate et ignoble vie de sécurité.

On se moquera du philosophe qui, tranquille dans son cabinet ou sur le bord de la Méditerranée, enfin pacifiée, s’enivre ainsi de la beauté de la vie périlleuse et tumultueuse. Il confesse que