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me semble qu’on a toujours parlé avec exagération de la douleur et du malheur comme s’il était de bon ton d’exagérer en cette matière. On se tait, par contre, sur les innombrables moyens de soulager la douleur… Nous nous entendons fort bien à verser des douceurs sur nos amertumes et surtout sur les amertumes de l’âme ; nous avons des ressources dans notre bravoure et dans notre élévation, ainsi que dans les nobles délices de la soumission et de la résignation. Un dommage est à peine un dommage pendant une heure. D’une façon ou d’une autre un présent nous est même, de ce fait, tombé du ciel, par exemple une force nouvelle, ne fût-ce même qu’une nouvelle occasion de force. »

Ces prédicateurs de morale, s’ils sont sincères, ce qui n’est pas probable, n’ont pas assez réfléchi à l’intrication nécessaire, naturelle et très heureuse en somme, du plaisir et de la douleur. La douleur et le plaisir sont liés et entrelacés de telle sorte qu’ils sont fonction l’un de l’autre, conditions l’un de l’autre, ou, tout au moins, en tout état de cause, unis d’un nœud indissoluble au point d’en être quelquefois indiscernables : « Quoi donc ! Le dernier but de la science serait de créer à l’homme autant de plaisir et aussi peu de peine que possible ? Mais comment, si le plaisir et le