Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les professeurs de morale ont beau jeu à invectiver contre les passions. La matière est d’exploitation facile, parce que, certainement, les passions, comme tout ce qui est beau, sont toutes pleines et toutes grosses de dangers. Mais, d’abord, ils exagèrent et nous en imposent ; et ensuite c’est précisément les affaires pleines de dangers qui sont dignes que l’homme s’y attache. C’en est la marque : « Les prédicateurs de la morale, quels thèmes n’ont-ils pas brodés sur la « misère » intérieure des hommes « méchants » ? Et quels mensonges ne nous ont-ils pas débités sur le malheur des hommes passionnés ! Oui, mensonges, c’est là vraiment le mot : ils connaissent fort bien l’extrême bonheur de cette espèce d’hommes ; mais ils s’en sont tus, parce qu’il était une réfutation de leur théorie, d’après laquelle tout bonheur ne naît que de l’anéantissement de la passion et du silence du désir. »

Et pour ce qui est enfin de la recette de tous ces médecins de l’âme et de leur recommandation d’une cure radicale et rigoureuse, il sera permis de demander : « Notre vie est-elle assez douloureuse vraiment et assez odieuse pour l’échanger avec avantage contre le stoïcisme d’un genre de vie pétrifié ? Nous ne sentons pas assez mal pour devoir nous sentir mal d’une façon stoïque. Il