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tions, nous en avons autant que de faux poètes, de faux littérateurs, de faux penseurs. L’homme, au début de la vie, prend très souvent, extrêmement souvent, pour une passion, pour sa passion, un goût très passager, très superficiel, qui lui vient d’imiter tel ou tel personnage de son entourage, ou de l’histoire contemporaine, ou de l’histoire d’autrefois, ou d’un roman ou d’un poème. Il est bien certain que cette passion-là est ridicule, ne conduit qu’à des sottises et fait son malheur. Il ne faut pas se tromper sur ses passions, non plus que sur ses aptitudes, puisque aussi bien les passions sont des aptitudes.

Mais les passions profondes, les passions vraies, sont toutes des forces excellentes et pour l’individu et pour la société. Les plus vilaines, même, l’avarice, si vous voulez, sont précieuses et sont fécondes. Le père Grandet, qui est un grand homme, qui est un poète, pour ce qui est de lui-même goûte des joies profondes, des extases, des ravissements de collectionneur et de fondateur et de conquérant ; et pour ce qui est de la société, il crée pour elle une de ces réserves de travail accumulé qu’il est très utile que quelques-uns préparent. Toutes les passions sont bonnes quand elles sont vraies. C’est un pharisaïsme détestable que de les flétrir ou de les proscrire.