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transformer en fonction de la collectivité. »

L’éloge de la vertu et en d’autres termes la morale, est l’exaltation « de quelque chose de nuisible dans le privé, l’éloge d’instincts » appris et acquis et traditionnels, « qui enlèvent à l’homme son plus noble amour de soi et la force de se protéger soi-même ». Il faut à tout prix se débarrasser de cette morale-là.

Cette sorte de chasse à l’égoïsme que fait la morale avec un égoïsme monstrueux, a quelquefois un bien singulier caractère et des effets aussi ridicules que funestes. Le grand mot de la morale, n’est-ce pas ? c’est : il faut avoir de l’empire sur soi-même, il faut apprendre à se vaincre soi-même, gnôti seauton, nicâ seauton. Il peut y avoir quelque chose de bon là-dedans ; mais cela est surtout propre à faire des maniaques et des maniaques bien tristes. « Ces professeurs de morale qui recommandent, d’abord et avant tout, à l’homme de se posséder lui-même, le gratifient d’une maladie singulière, je veux dire d’une irritabilité constante devant toutes les impulsions et les penchants naturels, d’une espèce de continuelle démangeaison. Quoi qu’il lui advienne du dehors ou du dedans, une pensée, une attraction, un désir, toujours cet homme irritable s’imagine que maintenant son empire sur soi-même pourrait être en danger.