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l’individu pensât autrement et qu’il accordât plus d’importance à sa propre conservation et à son développement qu’à son travail « au service de la société ». Voilà votre raisonnement en face de la vertu des autres. Il n’est pas précisément vertueux. Il est proprement cynique. Les louangeurs de la vertu en devraient dégoûter, par ce qu’il y a de profondément pervers dans la façon dont il la louent, que dis-je ? dans le principe même des éloges qu’ils lui assènent.

Vous plaignez ce jeune homme, il est vrai, en même temps que vous le vénérez ; mais vous ne le plaignez pas « à cause de lui-même ; mais parce que, par cette mort, un instrument soumis et ce que l’on appelle un brave homme a été perdu pour la société désintéressée. Peut-être prend-on en considération qu’il eût sans doute été plus utile à la société s’il avait travaillé avec plus d’égards pour lui-même et s’il s’était conservé plus longtemps. On s’avoue bien l’avantage qu’il y aurait eu à cela ; mais on estime plus durable et supérieur cet autre avantage qu’un sacrifice a été fait et que le sentiment de la bête de sacrifice a de nouveau une fois reçu une confirmation visible. » L’éloge de la vertu et autrement dit la morale est donc l’exaltation d’une certaine « déraison dans la vertu, grâce à laquelle l’être individuel se laisse