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de culture de tous les vices et surtout des plus honteux !… Il me semble qu’à peu près tout le bien qui a été fait dans le monde a été fait par le « mal ». Les hommes de bien ont du bon, mais un peu moins que les méchants. Le bien est bon, certainement ; seulement le mal est meilleur. « Ce sont les esprits les plus forts et les plus méchants qui ont, jusqu’à présent, fait faire les plus grands progrès à l’humanité : ils allumèrent toujours à nouveau les passions qui s’endormaient — toute société organisée endort les passions, — ils éveillèrent toujours à nouveau le sens de la comparaison, de la contradiction, le plaisir de ce qui est neuf, osé, non éprouvé ; ils forcèrent l’homme à opposer des opinions aux opinions, un type idéal à un type idéal. Par les armes, par le renversement des bornes frontières, par la violation de la piété, le plus souvent ; mais aussi par de nouvelles religions et de nouvelles morales ! La même méchanceté est dans l’âme de tous les maîtres et de tous les prédicateurs de ce qui est neuf, cette méchanceté qui jette le discrédit sur un conquérant. Ce qui est neuf, cependant, est de toute façon le mal, étant ce qui conquiert et veut renverser les vieilles bornes et les pitiés anciennes. Or, ce n’est que ce qui est ancien qui peut être le bien. Les hommes de bien de toutes les époques ont été ceux qui ont appro-