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sont heureux, ils n’ont pas lâché leur part de bonheur, ils n’ont pas sacrifié, ils n’ont pas renoncé. On ne peut pas dire cela. Appelez-les sublimes égoïstes, s’il vous plaît ainsi ; mais appelez-les égoïstes. Ils le sont profondément. Ils le sont royalement. Ils le sont divinement. De ce qu’ils le sont autrement que les autres et mieux, direz-vous qu’ils ne le sont pas ? Ils le sont plus ! — Non ! Mieux ! — Mais, mieux et plus c’est la même chose, s’ils en ont conscience. Or, comment voulez-vous qu’ils n’en aient pas conscience et qu’ils ne sentent pas leur bonheur ?

Et, encore une fois, je ne les en blâme pas. Je suis partisan de l’égoïsme. Je ne blâme que le travestissement. Je ne blâme que l’égoïsme en tant que se cachant et se donnant de favorables noms, parce que cela le gâte. Ici, je ne blâme que la prétention qu’a l’intérêt de se donner comme désintéressement et que l’erreur par laquelle on prend pour désintéressement l’égoïsme le plus fort.

Tenez ! Faisons notre confession. Vous êtes un chrétien, je suis un homme de science. Nous nous flattons tous deux d’être des désintéressés, des hommes qui ont renoncé. Examinons loyalement votre cas et le mien : « Il n’y a pas de livre qui contienne avec plus d’abondance, qui exprime avec plus de candeur ce qui peut faire du bien à tous