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querelles que l’amour a suscitées et suscite parmi les hommes. Le croyant est un amoureux jaloux que l’amour et la jalousie rendent féroces. Au fond, il voudrait avoir un Dieu pour lui seul. La religion primitive, c’est le fétichisme, et il en restera toujours. La religion, devenant peu à peu force sociologique et bien social, est devenue chose commune et non plus individuelle ; mais elle a toujours son caractère primitif d’amour jaloux et méfiant, et si ce n’est plus d’homme à homme qu’on se soupçonne et celui-ci qui accuse celui-là de vouloir lui voler son fétiche, c’est de secte à secte qu’on se regarde de mauvais œil, c’est la secte blanche qui accuse la secte noire de vouloir attirer à elle le Dieu de la secte blanche, de vouloir le détourner et le corrompre, et qui, pour cette raison, attaque, égorge et massacre furieusement la secte noire. Les juifs, dont, au point de vue religieux, nous avons hérité tant de choses, sont le plus remarquable exemple de cette jalousie religieuse et de cet amour de Dieu, forme aiguë de l’accaparement. La sainte piété est encore une transformation et non pas la moins notable, ni la moins odieuse, de l’égoïsme.

Dira-t-on qu’il y a bien des vertus qui ne peuvent pas se ramener à l’égoïsme ? Nous renvoyons encore à La Rochefoucauld, et pour faire court, nous prenons un dernier exemple qui est, sans doute,