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Parlerons-nous de la piété ? Ce n’est plus une vertu très en usage. Mais ce fut la reine des vertus autrefois, et elle est encore comme sur les degrés de son ancien trône. La piété est un égoïsme particulier, à fond d’orgueil. Elle consiste à croire très profondément qu’il y a une puissance supérieure, immense, sublime, infinie, avec laquelle nous avons un commerce intime, à qui nous parlons quand nous voulons, qui nous écoute toutes les fois que nous lui parlons et qui — c’est vraiment notre confiance et nous osons le lui dire — ne peut rien nous refuser, tant nous l’aimons. Ce n’est pas en vain que les hommes ont dans beaucoup de langues attribué la même dénomination à « l’amour » et à l’amour de Dieu. Ces choses ne sont pas très différentes. Comme l’amour est un désir et un appétit de possession, de même l’amour de Dieu est un désir profond, plus ou moins conscient, de posséder Dieu, de conquérir Dieu et de s’assujettir Dieu, de l’avoir sous sa dépendance et à sa disposition et d’obtenir de lui toutes les faveurs dans le temps et dans l’éternité. Et les démarches de ces deux amours, à peu de chose près, sont bien les mêmes. C’est par des déclarations d’amour, aussi éloquentes qu’il les peut faire, que l’homme pieux s’efforce de conquérir son Dieu, et le fond de son raisonnement, aussi burlesque que celui de l’amoureux.