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pas beau, et il n’y a pas de quoi se vanter ; ensuite, c’est la modération qui met l’humanité dans un état de platitude générale, de médiocrité universelle, d’indolence unanime, de prostration devant de petits tyrans aussi modérés, presque aussi médiocres et aussi plats qu’elle-même. Qu’on ait fait de la modération une vertu, cela indique une déchéance et comme une déliquescence de la race humaine.

Qu’est-ce que la pitié ? Un attendrissement qui vous saisit en présence des malheurs où vous pouvez tomber vous-mêmes. Hodie tibi, cras mihi. C’est de la prévoyance, de la prévision plutôt, c’est-à-dire de l’égoïsme qui sait voir jusqu’à demain. Il est difficile de voir là une vertu si admirable. Et, de plus, la pitié énerve l’homme, en lui persuadant qu’il a fait son devoir en versant une larme sur le sort de son semblable, qu’il a fait son devoir en donnant quelque chose de son superflu à quelque infortuné. Elle l’énerve en le replongeant dans une douce quiétude aussitôt qu’il a payé ce tribut ridicule à l’humanité. Elle l’énerve en le détournant de toute action grande, forte, civilisatrice, ascendante, qui pourrait faire couler des larmes, troubler la quiétude générale et la vôtre, peut-être coûter un certain nombre de vies humaines. La pitié est l’ennemie née de l’héroïsme. Soyez sûrs