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trompant sur lui-même. Notre amour du prochain, qu’est-ce autre chose qu’un désir impérieux de possession, de nouvelle propriété ? Notre amour de la science, qu’est-ce autre chose qu’un désir de nouveauté ? « Nous nous fatiguons peu à peu de ce qui est vieux, de ce que nous possédons avec certitude et nous nous mettons à étendre de nouveau les mains. » C’est ainsi que le plus beau paysage où nous vivons depuis trois mois ne nous inspire plus que le désir d’en voir un autre. L’homme est le « Don Juan de la connaissance ». Renan, qui, plus que tout homme au monde, fut le Don Juan de la connaissance, se plaignait de son inquiétude d’esprit qui, après qu’il avait trouvé la vérité, la lui faisait chercher encore.

Qu’est-ce que la pitié ? C’est un désir de possession. Lorsque nous voyons quelqu’un souffrir, nous saisissons volontiers cette occasion qui nous est offerte de nous emparer de quelqu’un, de le faire nôtre. Cet homme charitable appelle amour « le désir de possession nouvelle éveillé en lui et il prend son plaisir comme devant une nouvelle conquête qui lui fait signe ». Voilà ce qu’il y a au fond de cette religion de la pitié dont on nous bat les oreilles et à laquelle on voudrait nous convertir, bien en vain ; car « nous connaissons trop les petits jeunes gens et les petites femmes hystériques