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De là vient que « c’est sur le bien et le mal que l’on a jusqu’à présent le plus pauvrement réfléchi ». Chose effrayante, quand on y songe ; car il est certain que c’est le bien et le mal, et la conduite des mœurs, et la règle des mœurs, qui importent le plus. Mais à force de se rendre vénérable, et à force de terroriser les esprits, la morale, en se rendant intangible, s’est rendue stérile ; et à force de ne pas permettre qu’on la discutât, a rendu impossible qu’on l’étudiât ; et à force de se faire lieu sacré, s’est faite désert.

Il faut enfin la regarder en face et bien voir qu’elle est un préjugé qui, par un privilège particulier, a su se faire respecter des esprits les plus hardis jusqu’à les stupéfier, qu’elle est un préjugé incontrôlé qui a su se rendre incontrôlable ; mais qu’elle est un préjugé, méritant ce nom plus que tous les autres, puisqu’il a su, lui, se dérober presque à toute analyse et à tout examen.

Et préjugé funeste ; car, comme nous l’avons vu, il diminue l’homme, il l’énervé, il l’émascule ; il en fait un animal timide, peureux, régulier et correct, une bête de troupeau, tout à fait contraire à ce qu’il semble bien que l’homme primitif a été et à ce qu’il semble que l’homme, au front élevé vers le ciel, doit être.

Oui, voilà bien encore une ennemie de la vie en