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parle bien et que j’aime entendre mes opinions exposées par lui. » — Toutes les exagérations de Nietzsche viennent de là. Il y a en lui beaucoup de Joseph de Maistre.

Ainsi construit par la nature, comme il était né Allemand, sans l’avoir demandé, il fut mis d’abord à l’école du romantisme, du pessimisme et de Wagner, et, avant d’avoir pris conscience de lui-même, il les adora. Gœthe (par les côtés accessibles aux jeunes esprits et à la foule), Schopenhauer et Wagner furent ses premiers maîtres et ses idoles. Il fut, sinon pénétré, du moins touché de ce romantisme allemand, si différent du nôtre, par quoi je ne veux dire ni qu’il soit meilleur ni qu’il soit pire, qui est fait surtout de sensibilité et d’attendrissement, de Gemüthlichkeit, de mélancolie rêveuse, douce et pitoyable, et dans lequel la sensibilité l’emporte de beaucoup sur l’imagination.

Il fut pénétré, et plus profondément, par le pessimisme, effet naturel de ce romantisme longtemps pratiqué et couvé, par ce sentiment de la misère incurable des choses, qui porte ou à souhaiter et à demander impérieusement qu’elles cessent d’être, ou à les détruire, en quelque sorte, en soi-même, pour ne pas les sentir et pour se réfugier dans une indifférence analogue au néant ou au moins représentative du non-être.