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surnaturel, l’immortalité de l’âme ; on ne discute pas la morale. Bien plus, à quelque parti philosophique que l’on appartienne, on veut aboutir à la morale et on tient à montrer qu’on y aboutit ; quelque système philosophique que l’on invente ou que l’on soutienne, on trouve le moyen, en définitive, de l’incliner vers la morale et de prouver qu’il y arrive. Bien plus, on met toujours son honneur à prouver que le système que l’on soutient mène à la morale mieux qu’aucun autre, supporte, comporte et contient en son sein la morale plus qu’aucun autre. Bien plus, si, pour prouver son excellence, chaque système soutient qu’il est éminemment d’accord avec la morale, pour prouver que les autres sont mauvais il croit n’avoir besoin que de démontrer qu’ils conduisent à des conséquences immorales ; et le mot de condamnation des autres, comme aussi le mot d’apologie de soi-même, le mot suprême est toujours : « Il y va de la morale ! »

La morale est le sanctuaire, et elle est aussi le critérium jugé infaillible et la pierre de touche estimée absolue. « En présence de la morale, il n’est pas permis de réfléchir, encore moins de parler ; il faut obéir… Aller jusqu’à critiquer la morale, la morale en tant que problème, tenir la morale pour problématique, c’est… immoral. »