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car une lumière s’était levée en lui. Et il parla ainsi à son cœur : « Bienheureux celui qui habite auprès de ce sage ! Un tel sommeil est contagieux, même à travers un mur épais… Sa sagesse dit : veillez pour dormir. Et en vérité si la vie n’avait pas de sens et s’il fallait que je choisisse un non-sens, ce non-sens-là me semblerait le plus digne de mon choix. Maintenant je comprends ce que jadis on cherchait avant tout, lorsque l’on cherchait des maîtres de la vertu. C’est un bon sommeil que l’on cherchait et des vertus couronnées de pavots. Pour tous ces sages de la chaire, ces sages tant vantés, la sagesse était le sommeil sans rêve : ils ne connaissent pas de meilleur sens de la vie. »

La morale est donc, très probablement, un narcotique, dont l’humanité, fatiguée du tumulte des passions, a senti, à un moment donné, le besoin de se munir. Ce n’est certainement pas une raison pour la proscrire ; mais encore ce ne lui est pas un titre de gloire et ce n’est pas une raison pour la vénérer. Il paraît évident que la constitution de la morale est une première décadence de l’humanité. La morale, sans doute, a existé de tout temps, puisque nous avons montré qu’elle se confond avec la religion, qu’elle la crée et est créée par elle, etc. ; mais il y a eu un moment, peut-être un moment pour chaque peuple, où la morale a été constituée, a été une