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morale ne semble avoir pour but suprême que de donner un bon sommeil à chaque homme à la fin de chaque jour ; voilà le noble but où elle aspire et où elle conduit. On se demande si la grande règle des mœurs humaines est bien celle qui n’a pas de fin plus noble et qui n’obtient ni ne désire résultat plus glorieux.

On vantait à Zarathoustra un sage que l’on disait savant à parler du sommeil et de la vertu… Zarathoustra se rendit chez lui et s’assit devant sa chaire et le sage parla ainsi : « Ayez en honneur le sommeil et respectez-le ! C’est la chose première. Évitez tous ceux qui dorment mal et qui sont éveillés la nuit ! Le voleur lui-même a honte en présence du sommeil… Ce n’est pas une petite chose que de savoir dormir : il faut savoir veiller tout le jour pour savoir dormir. Dix fois dans la journée il faut que tu te surmontes toi-même ; c’est la preuve d’une bonne fatigue et c’est le pavot de l’âme. Dix fois il faut te réconcilier avec toi-même ; car s’il est amer de se surmonter, celui qui n’est pas réconcilié dort mal. Il faut trouver dix vérités pendant le jour ; autrement tu chercheras des vérités pendant la nuit et ton âme restera affamée. Dix fois dans la journée il faut rire et être joyeux ; autrement tu seras dérangé la nuit par ton estomac, ce père de l’affliction. Il faut avoir toutes les vertus pour bien