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pas savoir, parce qu’il est presque certain qu’il n’y a chronologiquement, et aussi essentiellement, ni première ni seconde et qu’elles existent, distinctes, mais inséparables et indivisibles, de toute éternité, étant en leur fond une seule et même chose.

Et maintenant songez à l’habitude, à la tradition, à l’hérédité ; et songez que la morale, comme du reste la religion, se continue et se prolonge parmi les hommes par une sorte de fatalité atavique, par une sorte de soumission à l’usage et aux mœurs, de sorte que la « lâcheté et la paresse sont les conditions premières de la moralité »; et vous aurez dans toute sa suite l’histoire de la morale dans le monde humain.

Or, cette morale, dont nous avons vu le fond et combien il est vain ; dont nous avons vu les origines et combien elles sont peu respectables ; est-elle bonne au moins dans ses effets et sert-elle à quelque chose ?

La morale est déprimante, vulgarisante, enlaidissante, affaiblissante, et dans le sens courant du mot, démoralisante. Elle dit à l’homme : sacrifie-toi à tes semblables, et par là elle lui conseille une manière de suicide qui n’est pas même utile à ces semblables dont on parle. Elle tarit dans l’homme les sources d’activité, désirs, passions, égoïsme, tendance à persévérer dans l’être et à augmenter son