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Dieux méchants, parce qu’elle fait monter sans cesse à eux la famée du sacrifice expiatoire ».

Une fois cette idée entrée dans le monde, et elle a dû y entrer très vite, le pli était pris et l’homme s’est toujours cru obligé de se battre contre lui-même pour satisfaire… quoi ? Soit, d’abord, des Dieux méchants et jaloux ; soit, ensuite, un Dieu bon, mais sévère et qui veut qu’on songe à lui et, sinon qu’on se torture, du moins qu’on ne s’abandonne pas tout entier à soi, ce qui est une manière de l’oublier ; soit, enfin, la conscience, c’est-à-dire un Dieu intérieur, Dieu passé en nous, reste des divinités d’autrefois, résidu théologique qui a tous les caractères, atténués peut-être, quelquefois identiques, quelquefois exagérés, des Dieux d’autrefois, qui est sévère, qui veut qu’on songe à lui, qui est exigeant, qui est méchant et cruel, qui n’est jamais satisfait, qui est plus difficile, plus susceptible et plus impérieux à mesure même qu’on lui donne davantage, qui commande catégoriquement et sans donner ses raisons, bref Dieu, le Dieu d’autrefois, seulement en nous au lieu d’être extérieur et éloigné, aussi mystérieux du reste et dont le commandement est un « mystère ». La morale n’est pas autre chose que la religion transformée et particulièrement que la Némésis transformée.