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Il faut encore, pour bien se rendre compte de ce que c’est que cette morale dont l’homme est si fier, remonter à ses origines et se demander d’où elle est venue, et se demander aussi d’où elle nous vient dans le temps présent, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

D’où elle est venue ? Très probablement de l’idée de la Némésis céleste, de l’idée que des êtres très puissants, qui nous dominent et qui peuvent nous punir, aiment que nous souffrions et aiment à nous voir souffrir. Voici la suite des choses : dans la société primitive, dans la société barbare, sans cesse en danger et peut-être naturellement féroce, mais en tout cas habituée à la férocité par l’état de guerre perpétuelle, on aime à faire souffrir, on aime à se venger, « c’est une vertu que d’être inventif dans la vengeance et insatiable dans la vengeance ». La communauté prend conscience de sa force et se réconforte ou croit se réconforter aux spectacles sanguinaires. En un mot, « la cruauté est une des plus anciennes réjouissances de l’humanité ». Dans ces conditions, que peuvent croire les hommes relativement à leurs Dieux ? Comme ils les font à l’image de l’homme, naturellement, ils s’imaginent que les Dieux prennent plaisir, eux aussi, à la souffrance des hommes et s’en réjouissent ; que le spectacle du bonheur humain les attriste et que le spectacle