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« Jamais je n’aurais fait pareille chose », on arrive à celle-ci : u J’en aurais certainement fait autant ».

L’institution du jury est à cet égard une chose essentiellement sociale. Le juré est un honnête homme que le crime étonne prodigieusement et pour qui le crime est une chose dans laquelle il n’entre pas. Il est donc dans les dispositions où il faut être pour punir. Le juge, très habitué au crime, vivant dans le crime, finirait par y être extrêmement indulgent, tant il arriverait à le trouver naturel et presque, je dis en chaque espèce, nécessaire.

— Cependant, quand les magistrats, et non pas le jury, jugeaient au criminel, ils n’étaient pas tendres.

— Pardon ! On s’était, sans doute, tellement aperçu qu’il y avait danger social à faire juger les criminels par des gens habitués au crime, qu’on avait inventé un détour et une fiction. On défendait, s’il vous plaît, on défendait au juge de juger le criminel. On ne lui permettait que d’appliquer la loi au criminel. Il devait juger, non point du tout selon sa conscience, mais strictement selon la loi. Il avait, non à dire : « En mon âme et conscience, cet homme est coupable » ; mais à chercher à quelle ligne, dans un livre, correspondait faction commise par cet homme et à appliquer cette ligne à cette action, sans aucune intervention de sa