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C’est elle qui le forçait à penser, à dire, à écrire, des choses contradictoires et contraires à sa pensée générale, si, au moment où il les concevait, elles lui semblaient vraies. C’est elle qui donne à tout ce qu’il a écrit un air de confession, hautaine, certes, mais de confession publique.

Il était orgueilleux au plus haut point, très convaincu de sa supériorité d’esprit, hanté de ce sentiment, juste assez souvent, que tout ce qu’il pensait était pensé pour la première fois, et excité sans cesse par cette démangeaison bien connue qui consiste à toujours soupçonner que ce que pense la majorité des hommes est stupide et qu’on ne peut guère se tromper à être paradoxal ; et que tout au moins le paradoxe, étant une évasion hors de la sottise, est un acheminement vers la vérité.

Son insatiable besoin d’indépendance vient de cet orgueil. Il ne pouvait subir aucun joug, ni venant des hommes, ni venant des choses, ni venant même des habitudes. Rien de significatif comme sa confidence sur les « habitudes courtes » : «… Ma nature est entièrement organisée pour les courtes habitudes, même dans les besoins de sa santé physique, et, en général, aussi loin que je puis voir, du plus bas ou du plus haut. Toujours je m’imagine que telle chose me satisfera d’une façon durable… Et un jour, c’en est fait, la courte habitude a eu son