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presque sans alliage sans doute, à coup sûr avec beaucoup moins d’alliage que dans la veille, se révèle à vous. Dans la veille, subissant l’influence de ce qui vous entoure, vous réprimez et corrigez vos pensées et sentiments à mesure qu’ils naissent, en considération et en conformité de ce qui vous entoure et de ceux qui vous entourent. Vous avez honte ou peur de telle pensée qui vous vient, parce qu’elle vous ferait honte devant vos semblables ; et vous la réprimez, vous l’étouffez un moment avant qu’elle soit claire, pour ne pas l’avoir eue, pour pouvoir vous dire que vous ne l’avez pas eue. Et en effet vous ne l’avez pas eue complètement. La part d’autrui dans vos pensées et vos sentiments à l’état de veille, est donc énorme, et dans l’état de veille c’est moi autant que vous qui pense en vous. Ce n’est certes pas là qu’il faut chercher et qu’il faut tâcher à saisir et à surprendre votre personnalité.

Dans l’état de sommeil, au contraire, ce pouvoir réprimant sur votre pensée naissante, vous ne l’avez plus. Le sommeil, c’est le domaine de la pensée sans contrainte. Le rêve, c’est la pensée libre et par conséquent c’est le moi pur. Si vous voulez savoir si vous êtes brave, au fond et vraiment, si vous êtes lâche, si vous êtes bon, si vous êtes méchant, faites attention à ce que vous faites en rêve ; c’est le texte