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quillement. Supposez que l’on m’eût averti la veille que le lendemain, à onze heures, quelqu’un tomberait ainsi à mes pieds, j’aurais souffert les tortures les plus variées, je n’aurais pas dormi et, au moment décisif, je serais peut-être devenu semblable à cet homme, au lieu de le secourir. Car dans l’intervalle tous les instincts imaginables auraient eu le temps de se représenter et de commenter le fait divers. Les événements de notre vie sont bien plus ce que nous y mettons que ce qu’ils contiennent. Peut-être sont-ils vides par eux-mêmes. Peut-être vivre c’est inventer. »

Toujours est-il que le jeu de nos instincts et surtout les causes du jeu de nos instincts nous sont inconnues. « Nos évaluations et nos jugements moraux ne sont que des images et des fantaisies, cachant un processus physiologique inconnu de nous… Tout ce que nous appelons conscience n’est en somme que le commentaire plus ou moins fantaisiste d’un texte inconnu, peut-être inconnaissable. » — Comment pourrions-nous donc être responsables d’un spectacle, que nous ne voyons pas tout entier, que nous voyons mal, que nous entendons mal, dont nous ne connaissons ni les coulisses, ni les dessous et dont, à coup sûr, nous ne sommes pas les auteurs ?

On se méprend sur ce jugement de la conscience