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cas un instinct trouvera à se satisfaire, que ce soit celui du dépit, de la combattivité, de la méditation ou de la bienveillance. »

Notez que je viens de supposer plusieurs hommes ; mais le même homme peut, dans le cas que j’ai supposé, éprouver l’un quelconque ou l’autre quelconque des sentiments sus énumérés. Pourquoi ? Parce que c’était, à ce moment-là, « son humeur », comme on dit. Mais « humeur », qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire qu’un de ses instincts, et non un autre, s’est emparé de cet incident comme d’une proie, comme d’un butin et s’en est nourri. Mais pourquoi cet instinct, et non pas un autre, pourquoi justement celui-là ? Parce qu’il était à ce moment-là à son point culminant d’avidité, parce qu’il était affamé et à l’affût. Mais pourquoi à ce moment-là ? C’est ce que vous ne saurez jamais. Vous ne connaissez pas la nutrition de vos instincts.

Un souvenir personnel. « Dernièrement, à onze heures du matin, un homme s’est affaissé droit devant moi, comme frappé de la foudre : toutes les femmes du voisinage se mirent à pousser des cris. Moi, je le remis sur pied et j’attendis auprès de lui que la parole lui revînt. Je ne fus pas ému. Je n’eus aucun sentiment ni de crainte ni de pitié. Je fis simplement ce qu’il y avait à faire et je m’en allai tran-