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lui ; c’est une illusion, c’est un préjugé, c’est l’effet d’une connaissance de soi-même grossière et erronée que de se tenir pour responsable.

Voulez-vous réfléchir un peu sur cette impossibilité où nous sommes de connaître vraiment notre mécanisme intérieur et par conséquent d’en être responsables, récompensables, punissables, ou seulement d’en porter un jugement ? Songez à ceci : à peine connaissons-nous et pouvons-nous nommer par des noms nos instincts les plus grossiers ; quant à « leur force, leur flux et leur reflux, leur jeu réciproque, et aux lois de leur nutrition, c’est chose qui nous est complètement inconnue ». Pourquoi le même fait irrite-t-il l’un et amuse-t-il l’autre, et irrite-t-il et amuse-t-il le même homme selon le moment ? « Nous nous apercevons, un jour, en traversant une place publique, que quelqu’un se moque de nous… Selon l’espèce d’homme que nous sommes, ce sera un événement très différent. Untel l’accueillera comme une goutte de pluie ; tel autre le secouera loin de lui comme un insecte ; l’un y cherchera un motif de querelle, l’autre examinera ses vêtements pour savoir s’ils prêtent à rire ; tel autre songera au ridicule en soi ; enfin il y en aura peut-être un qui se réjouira d’avoir involontairement contribué à ajouter un rayon de soleil à la joie du monde. — Et dans chacun de ces