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pour le lire d’une façon suivie, après l’avoir si souvent lu comme il écrivait, au hasard du jour et de l’heure.


Autant qu’on peut en conjecturer par ce qu’on sait de lui et par ce qu’il en a dit, Nietzsche était loyal, orgueilleux et agressif. — Il a bien d’autres traits de caractère, mais il faut se borner à l’essentiel pour voir clair et pour ne pas risquer de ne plus rien démêler à force de vouloir tout voir.

Il était loyal, détestait l’hypocrisie et cette conscience approximative qui n’est qu’une forme de l’hypocrisie. Il voulait voir clair absolument et jusqu’au fond dans les autres, dans lui-même, dans les idées et dans les systèmes. Il railla plus tard cruellement ce peuple, le sien, « qui aime à se griser et pour qui l’obscurité est une vertu », et il s’écria en style lyrique, songeant surtout à lui-même : « Mais enfin nous devenons clairs ; nous sommes devenus clairs ! » — Cette probité intellectuelle, qui du reste n’est qu’une forme de la probité morale, était chez lui intransigeante. C’est elle qui le força plus tard à toujours lever le voile, à toujours dénouer le masque, à se demander toujours : « et sous cette idée qu’y a-t-il encore, et sous ce premier principe qu’y a-t-il encore ? quel sentiment ? quelle tendance, inavouée, peut-être inavouable ? »