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moral, surpris de l’être, en quelque sorte, et voulant se rendre compte de cela et se justifier d’être ainsi, se projette lui-même dans l’infini et invente un Dieu moral qui n’est que lui-même démesurément agrandi. En cette ombre de lui-même, il se complaît et il se rassure, et il se dit : « Je ne suis pas seul et je ne suis pas le seul de mon espèce. J’ai un compagnon sublime et fort, à qui je ressemble et qui m’appuie contre le monde si différent de moi et sans doute hostile, et qui me défendra contre lui et me récompensera de lui avoir résisté ; qui, tout au moins, me donne confiance par sa présence ; qui, tout au moins, me sauve du ridicule et de la terreur d’être seul de mon espèce, comme un étranger dans un pays inconnu. » — La morale inventant le monde transcendantal pour se rassurer, c’est le voyageur causant amicalement avec son ombre.

— Mais, nonobstant tout l’univers réel, et indépendamment de l’univers transcendantal, je trouve la loi morale dans ma conscience, et cela c’est un fait aussi, un fait réel, dont il faut sans doute tenir compte et sur quoi je voudrais bien avoir votre avis.

Nietzsche a répondu par une Critique de la conscience qui n’a pour nous rien de très nouveau, car elle est tout entière dans La Rochefoucauld