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l’univers, point à son tour, et à son tour atome et raccourci d’atome, est immoral.

Très bien joué. Et, par parenthèse, cela fait éclater une fois de plus combien il y a connexion intime entre la morale et la religion, entre la morale et le surnaturel. Quand la morale ne vient pas du surnaturel, ne procède pas de lui, elle en a besoin pour ne pas être paradoxale et ridicule, et elle l’invente pour se donner du lest et du poids et de l’autorité et s’imposer aux hommes. « Le monde transcendantal est imaginé par Kant pour laisser la place de la liberté morale. »

Très bien joué ; mais c’est un jeu, c’est une pure jonglerie. Nous sommes dans la nature. Cette nature a ses lois, établies de Dieu, peut-être ; mais elle a ses lois. Ce qui est naturel, ce qui est vrai, ce qui est divin, si la nature est œuvre d’un Dieu, c’est que nous nous conformions aux lois naturelles et non pas que nous nous révoltions contre elles. Un poisson voulant vivre dans l’air, et persuadé que son devoir est d’y vivre, serait une bête bien singulière.

Et qui ne voit que cette invention de tout un monde surnaturel pour expliquer la morale, ou pour la fonder, ou pour empêcher qu’elle ne paraisse absurde, est tout simplement une transposition et une projection artificielles. L’homme