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Il n’y a guère d’illusion plus forte que cette idée, vraiment universelle à notre époque, qui consiste à confondre la civilisation et la science. C’est une idée universelle pour tout homme qui croit avoir réfléchi et même pour tout homme, du peuple comme de l’élite, et peut-être encore plus pour l’homme du peuple. L’homme civilisé, c’est l’homme qui sait, l’homme cultivé, c’est l’homme qui sait. Il n’y a rien de plus faux. L’artiste qui ne sait rien du tout, l’homme d’action qui sait peu de chose, est un homme aussi cultivé, aussi civilisé, souvent beaucoup plus, que le savant : « Tout notre monde moderne est pris dans le filet de la culture alexandrine et a pour idéal l’homme théorique, armé des moyens de connaissance les plus puissants, travaillant au service de la science et dont le prototype et ancêtre original est Socrate. Cet idéal est le principe et le but de toutes nos méthodes d’éducation. Tout autre genre d’existence [art, vie d’action, vie industrielle] doit lutter péniblement, se développer accessoirement non pas comme aboutissement projeté, mais comme occupation tolérée. Une disposition d’esprit presque effrayante fait qu’ici, pendant un long temps, l’homme cultivé ne fut reconnu tel que sous la forme de l’homme instruit. Notre art de la poésie lui-même est né d’imitations érudites… À un véritable Grec le type de