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sonne pas, et qui ne chante pas la romance sentimentale, mais qui agit et qui crée. — Qu’est-ce à dire ? Que le progrès de Faust a consisté à remonter du xixe siècle à la Renaissance, de la Renaissance à la Grèce présocratique. Le progrès de Faust a consisté à tourner le dos au « progrès ». Tout vrai progrès fera de même. C’est la vie scientifique, c’est la vie rationnelle et théorique qui est une décadence. « Le fait que la science est devenue à ce point souveraine montre que le xixe siècle s’est soustrait à la domination de l’idéal. C’est une certaine absence d’aspirations et de désirs qui rend possible pour nous la curiosité et la rigueur scientifiques, cette espèce de vertu qui nous est propre. »

La curiosité est une passion, mais c’est la dernière des passions ; c’est une passion de vieillard. C’est un vieillard qui a dit le premier : « Je ne vis plus que par curiosité », et il le disait assez mélancoliquement. Il y a, sans doute, des gens qui naissent avec cette c haute curiosité », comme l’appelait Renan ; mais ce sont gens qui naissent vieux. La jeunesse veut vivre et agir. L’âge scientifique est le dernier âge de l’humanité, ou il serait le dernier âge de l’humanité si elle n’était pas, heureusement, soumise à la loi de « l’éternel retour », qui est un des dogmes de Nietzsche, ou l’une de ses espérances.