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déraison, et je veux dire, par cela même, dans la joie que te cause tout ce qui est humain. Allons au bord de la mer. »

En effet, secouons ce joug, échappons à cet étau, inévitable pourtant et qui reviendra toujours nous violenter, du scepticisme subjectif, absolument irréfutable ; et faisons ce que les hommes ont toujours fait, faisons comme s’il était possible que nous connussions quelque chose. Soit, reprenons. Que se propose la science ? Eh bien, elle se place en face du monde, vous entendez bien, du monde, et elle se propose de le connaître et de l’expliquer, d’en donner une connaissance réelle et vraie ; réelle, c’est-à-dire complète ; vraie, c’est-à-dire logique, liée, systématique. Autrement dit, ou les mots n’ont pas du tout de sens, elle se propose de vider l’infini. Par définition elle est impuissante. — Dira-t-on que c’est quelque chose que de l’infini tirer quelque chose et l’expliquer, le rendre clair, le faire comprendre ? Mais de l’infini chaque partie tient à l’infini tout entier et n’est pas explicable avant que le tout soit expliqué. Mot de Claude Bernard : « Si je savais quelque chose à fond, je saurais tout. » Donc les explications de la science sont toujours tellement superficielles qu’elles équivalent à une non-explication, et qu’elles en sont une, et tous les savoirs de la science ne savent rien.