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— Certainement, et après les avoir affinées ainsi pendant des milliers de siècles, où serons-nous arrivés ? À voir de quoi, très exercées et très affinées, elles sont capables, et à voir comment, très exercées et très affinées, elles perçoivent le monde. Le monde en est-il plus connu ? Point du tout le monde, mais encore nos facultés. Nous ne sommes pas encore sortis de nous, nous avons développé notre moi, mais sans en sortir ; nous l’avons poussé plus loin, mais sans sauter hors de lui, ce qui est impossible. Nous nous connaissons mieux ou nous connaissons un nous-même plus grand, mais, de ce qui n’est pas nous, rien. Alors à quoi bon ? « Cherche la connaissance ! Oui, mais toujours comme homme ! Comment ! Être toujours spectateur de la même comédie, jouer toujours un rôle dans la même comédie ? Ne pouvoir jamais contempler les choses autrement qu’avec ces mêmes yeux ? Et combien doit-il y avoir d’êtres, — innombrables — dont les organes sont plus aptes que les nôtres à la connaissance ! Qu’est-ce que l’humanité aura fini par connaître au bout de toute sa connaissance ? Ses organes. Et cela veut peut-être dire : impossibilité de la connaissance. Misère ! Dégoût… Tu es pris d’un mauvais accès ; la raison te violente. Mais demain tu seras de nouveau en plein dans la connaissance, et par cela même en plein dans la