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ment. Le voilà précisément, l’homme théorique présenté comme roi du monde ! Or rien n’est plus faux, et ce serait le contraire plutôt qui serait vrai. L’homme qui sait le bien ne le fait pas, parce qu’il se contente de le savoir et que cela suffit à son amour-propre et parce que, à savoir le bien et à se rendre compte qu’il le sait, il croit le faire et avoir accompli et consommé son devoir. Le bien est instinctif et passionné ; le bien est dans l’acte, et l’acte est rarement, on en conviendra, inspiré par l’idée et le savoir ; et il est fréquemment, on en conviendra, l’effet d’un mouvement instinctif et qui ne sait pas.

Mais cette pensée est bien la pensée angulaire ou fondamentale de la doctrine de l’homme théorique. Socrate a dit au monde : « Sachez, pensez, raisonnez. Savoir c’est pouvoir et pouvoir le bien. Sachez, pensez, raisonnez ; car c’est là tout l’homme. Le reste est d’enfant. » — Il fallait leur dire : « Suivez vos instincts ; ils sont bons. »

Il semble vraiment que Socrate, homme qui s’est trompé, mais véritablement inspiré, ait compris, chose rare, tout ce qu’il enseignait, et, dernier terme et dernier sens de sa doctrine, que sa doctrine allait contre la vie ; car écoutez-le au dernier soupir : « Vous immolerez un coq à Esculape. » C’est-à-dire : « Esculape vient de me guérir