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sés, fait des raisonnements et des théories, en un mot le savant et le rationaliste.

Or cet homme est un ennemi mortel, lui aussi, de l’art et de la vie ; lui aussi il est antidionysien autant que possible. Socrate est assez connu comme antiartiste et Platon voulait bannir les poètes de la République. « Le plus illustre antagoniste de la conception tragique [c’est-à-dire artistique] de l’Univers, c’est la science. L’art fait aimer la vie en la présentant d’une façon synthétique ; la science la décolore et la glace en l’analysant. Ce que l’art vivifiait, la science le tue. Quiconque veut bien songer aux conséquences les plus immédiates de cet esprit scientifique, qui va de l’avant toujours et sans trêve, comprendra aussitôt comment par lui « le mythe fut anéanti, et comment, par cet anéantissement, la poésie, dépossédée de sa patrie idéale naturelle, dut errer désormais comme un vagabond sans foyer. »

C’est Socrate qui a bâti vraiment de toutes pièces cet homme théorique, par sa doctrine, singulièrement profonde en ce sens qu’elle allait du premier coup jusqu’au bout de la pensée initiale, mais par cette doctrine radicalement fausse, que la morale est en raison du savoir, que l’homme qui ne fait pas le bien est un homme qui ne sait pas le bien et que l’homme qui sait le bien fait le bien assuré-