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Pour expliquer ce contre-sens, il faut remonter à la signification du mot uenna. Cette recherche nous conduira au mot celtique uenn (gwenn, venn, montagne, sommet). Les Romains, négligeant le g et prononçant le w comme u, changèrent Ard-gwenn, en Ard-uenna ; et les Celtes rhénans, laissant tomber le g et donnant au w la valeur du v, obtinrent le mot Ard-wenn ou Ard-ven que les Tudesques traduisirent par Hohe-Venn.

Le radical celtique venn se retrouve dans les noms de Morven, montagne d’Écosse qu’Ossian a rendue célèbre, et de Morvan, contrée montagneuse, située aux confins de la Bourgogne et du Nivernais (les Montagnes du Morvan forment une chaîne de montagnes qui sépare le bassin de la Seine de celui de la Loire). Ces deux noms signifient « grande (en celtique mor) ou haute montagne. » Cfr. Vennes, localité du département du Doubs située au sommet d’un rocher[1].

Le mot Ardenne ou Arden prit plus tard le sens de « grande forêt. » En patois champenois, arden a conservé le sens général de « forêt. » En Angleterre, la plus grande forêt se nommait Arden (auj. Woodland = pays forestier) et le nom d’Athertone (ville de cette contrée) est une corruption de Arden’s town (la ville de la forêt).

La forme gwenn se retrouve dans le nom de l’Argonne (pour Ard-gouenne ; — ard devient ar comme dans Armagh [irland.], pour Ard-mach = la hauteur de [la reine] Macha)[2].

  1. À propos du Morvan, un touriste disait naguère : « Regardez ces noires montagnes drapées de bois comme un catafalque dans ses crêpes ; c’est, en effet, le tombeau d’un monde. Le Morvan est une Bretagne intérieure qui, bien mieux que l’autre, a conservé sa verdoyante chevelure. La forêt s’étend immense, profonde… »
  2. En kymrique argwn, argon signifie sommet, pointe. On a dit que le nom de l’Argonne, composé de ar (l’article) et de gwen (sinueux, courbe), indique très bien cette « masse de hauteurs