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SOUVENIRS ENTOMOLOGIQUES

J’assiste des cent fois à des rencontres front contre front, à des reculs pour se garer, à des coups de queue pour balayer l’étourdi rencontré en chemin, jamais à de sérieuses prises de corps, encore moins à des poursuites. Ce n’est que de loin en loin que ma surveillance quotidienne me montre tantôt l’un, tantôt l’autre de mes sobres mangeurs en possession d’un Criquet.

Par un brusque revirement, à l’époque des pariades, en avril et mai, le frugal se fait goinfre et se livre à de scandaleuses ripailles. Bien des fois alors il m’arrive de trouver sous sa tuile un Scorpion de l’enclos dévorant son confrère en parfaite quiétude, comme il le ferait d’un vulgaire gibier. Tout y passe, moins d’habitude la queue, qui reste appendue des journées entières à l’avaloir du repu, et finalement se rejette comme à regret. Il est à présumer que l’ampoule à venin, terminant le morceau, n’est pas étrangère à ce refus. Peut-être l’humeur venimeuse est-elle de saveur déplaisante au goût du consommateur.

À part ce résidu, le dévoré disparaît en entier dans un ventre dont la capacité semble inférieure, en volume, à la chose engloutie. Il faut un estomac de haute complaisance pour loger telle pièce. Avant d’être broyé et tassé, le contenu dépasserait le contenant. Or ces bombances gargantualesques ne sont pas des réfections normales, mais bien des rites matrimoniaux, sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir. Elles n’ont lieu qu’en temps de pariade, et les dévorés sont toujours des mâles.

Je n’inscrirai donc pas au chapitre des victuailles normales ces trépassés victimes de leurs embrassements. Ce sont là des aberrations de la bête en rut, des orgies