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L’année d’après, en temps opportun, je visite le même point. Pour creuser les terriers, la génération nouvelle a hérité de l’emplacement élu par la génération précédente ; elle a aussi fidèlement hérité de ses tactiques : l’expérience du Grillon reculé donne les mêmes résultats. Tels étaient les Sphex de l’année passée, tels sont ceux de l’année présente, également obstinés dans une infructueuse manœuvre. L’erreur allait s’aggravant, lorsqu’une bonne fortune me met en présence d’une autre colonie de Sphex dans un canton éloigné du premier. Je recommence mes essais. Après deux ou trois épreuves dont le résultat est pareil à celui que j’ai si souvent obtenu, le Sphex se met à califourchon sur le Grillon, le saisit avec les mandibules par les antennes et l’entraîne immédiatement dans le terrier. Qui fut sot ? ce fut l’expérimentateur déjoué par le malin hyménoptère. Aux autres trous, qui plus tôt, qui plus tard, ses voisins éventent pareillement mes perfidies et pénètrent dans leur domicile avec le gibier, au lieu de s’obstiner à l’abandonner un instant sur le seuil pour le saisir après. Que veut dire ceci ? La peuplade que j’examine aujourd’hui, issue d’une autre souche, car les fils reviennent à l’emplacement choisi par les aïeux, est plus habile que la peuplade de l’an passé. L’esprit de ruse se transmet : il y a des tribus plus habiles et des tribus plus simples, apparemment suivant les facultés des pères. Pour les Sphex, comme pour nous, l’esprit change avec la province. – Le lendemain, en une autre localité, je recommence l’épreuve du Grillon. Elle me réussit indéfiniment. J’étais tombé sur une tribu à vues obtuses, une vraie bourgade de Béotiens, comme dans mes premières observations.


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