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Je n’ai donc que des soupçons à proposer pour expliquer l’opiniâtreté des Sphex à descendre au fond de leurs souterrains avant d’y introduire le gibier. Auraient-ils un autre but que celui de déloger un parasite survenu en leur absence ? C’est ce que je désespère de savoir, car qui pourra jamais interpréter les mille manœuvres de l’instinct ? Pauvre raison humaine, qui ne sait pas se rendre compte de la sapience d’un Sphex !

Quoi qu’il en soit, il est constaté que ces manœuvres sont d’une singulière invariabilité. Je citerai à ce sujet une expérience qui m’a vivement intéressé. Voici le fait : au moment où le Sphex opère sa visite domiciliaire, je prends le Grillon, abandonné à l’entrée du logis, et le place quelques pouces plus loin. Le Sphex remonte, jette son cri ordinaire, regarde étonné de çà et de là, et voyant son gibier trop loin, il sort de son trou pour aller le saisir et le ramener dans la position voulue. Cela fait, il redescend encore, mais seul. Même manœuvre de ma part, même désappointement du Sphex à son arrivée. Le gibier est encore rapporté au bord du trou, mais l’hyménoptère descend toujours seul ; et ainsi de suite, tant que ma patience n’est pas lassée. Coup sur coup, une quarantaine de fois, j’ai répété la même épreuve sur le même individu ; son obstination a vaincu la mienne, et sa tactique n’a jamais varié.

Constatée chez tous les Sphex qu’il me prit désir d’expérimenter dans la même bourgade, l’inflexible obstination que je viens de décrire ne laissa pas de me tourmenter l’esprit quelque temps. L’insecte, me disais-je, obéirait donc à une inclination fatale, que les circonstances ne peuvent modifier en rien ; ses actes seraient invariablement réglés, et la faculté d’acquérir la moindre expérience, à ses propres dépens, lui serait étrangère. De nouvelles observations modifièrent cette manière de voir, trop absolue.