Page:Fabre - Souvenirs entomologiques, première série, 1916.djvu/282

Cette page n’a pas encore été corrigée

et comme ma classe devenait chaque jour plus nombreuse, on finit par la dédoubler. Du moment que j’eus un aide pour avoir soin des plus jeunes, les choses changèrent de face.

Parmi les matières enseignées, une surtout nous souriait, tant au maître qu’aux élèves. C’était la géométrie en plein champ, l’arpentage pratique. Le collège n’avait rien de l’outillage nécessaire ; mais avec mes gros émoluments, 7 francs s’il vous plaît, je ne pouvais hésiter à me mettre en dépense. Chaîne d’arpenteur et jalons, fiches et niveau, équerre et boussole, sont acquis à mes frais. Un graphomètre minuscule, guère plus large que la main et pouvant bien valoir cent sous, m’est fourni par l’établissement. Le trépied manquait ; je le fis faire. Bref, me voilà outillé.

Le mois de mai venu, une fois par semaine, on quittait donc la sombre salle pour les champs. C’était fête. On se disputait l’honneur de porter les jalons, répartis par faisceaux de trois ; et plus d’une épaule, en traversant la ville, se sentait glorifiée, à la vue de tous, par les doctes bâtons de la géométrie. Moi-même, pourquoi le cacher, je n’étais pas sans ressentir une certaine satisfaction de porter religieusement l’appareil le plus délicat, le plus précieux : le fameux graphomètre de cent sous. Les lieux d’opération étaient une plaine inculte, caillouteuse, un harmas comme on dit dans le pays. Là, nul rideau de haies vives ou d’arbustes ne m’empêchait de surveiller mon personnel ; là, condition absolue, je n’avais à redouter pour mes écoliers la tentation irrésistible de l’abricot vert. La plaine s’étendait en long et en large, uniquement couverte de thym en fleurs et de cailloux roulés. Il y avait libre place pour tous les polygones imaginables ; trapèzes et triangles pouvaient s’y marier de toutes les façons. Les distances inaccessibles s’y sentaient les coudées franches ; et même une vieille masure, autrefois colombier,