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J’ignore à quelle distance les Cerceris prolongent leurs domaines de chasse ; et il peut se faire que, dans un rayon de deux kilomètres, le pays leur soit plus ou moins connu. Non suffisamment dépaysés au point où je les avais transportés, ils auraient alors regagné leur domicile par l’habitude acquise des lieux. L’expérience était à renouveler, avec un éloignement plus grand et un lieu de départ qu’on ne pût soupçonner être connu de l’Hyménoptère.

Au même groupe de terriers où j’ai puisé le matin, je prends donc neuf Cerceris femelles, dont trois venant de subir la précédente épreuve. Le transport se fait encore dans l’obscurité d’une boîte, chaque insecte reclus dans son cornet de papier. Le point de départ choisi est la ville voisine, Carpentras, à trois kilomètres environ du terrier. Je dois relâcher mes bêtes, non au milieu des champs, comme la première fois, mais en pleine rue, au centre d’un quartier populeux, où les Cerceris, avec leurs mœurs rustiques, n’ont certainement jamais pénétré. Comme la journée est déjà avancée, je diffère l’épreuve, et mes captifs passent la nuit dans leurs prisons cellulaires.

Le lendemain matin, vers les huit heures, je les marque sur le thorax d’un double point blanc pour les distinguer de ceux de la veille n’en portant qu’un seul ; et je les rends à la liberté, l’un après l’autre, au milieu de la rue. Chaque Cerceris relâché monte d’abord verticalement entre les deux rangées de façades, comme pour se dégager au plus vite du défilé de la rue et gagner les larges horizons ; puis, dominant les toits, il s’élance tout aussitôt, et d’un fougueux essor, vers le sud. Et c’est du sud que je les ai apportés dans la ville ; c’est au sud que se trouvent leurs terriers. Neuf fois, avec mes neuf prisonniers, rendus libres l’un après l’autre, j’eus ce frappant exemple de l’insecte qui, totalement dépaysé, n’hésite pas dans la direction à suivre pour revenir au nid.