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suspendue à une hauteur que l’insecte, se redressant, ne peut plus dépasser. Dans ce cas, après de vaines évolutions autour du mât de cocagne inaccessible, les bousiers abandonnent la place si l’on n’a pas la bonté d’âme d’achever soi-même la besogne et de leur restituer le trésor. Ou bien encore, on leur vient en aide de la manière suivante. On exhausse le sol au moyen d’une petite pierre plate, piédestal du haut duquel il est possible à l’insecte de continuer. L’utilité de ce secours ne semble pas immédiatement comprise, car nul des deux ne s’empresse d’en faire profit. Néanmoins, par hasard ou à dessein, l’un ou l’autre finit par se trouver sur le haut de la pierre. Ô bonheur ! en passant, le bousier a senti la pilule lui effleurer le dos. À ce contact, le courage revient et les efforts recommencent. Voilà l’insecte qui, sur la secourable plate-forme, tend les articulations, fait comme on dit le gros dos et refoule en haut la pilule. Quand le dos ne suffit plus, il manœuvre des pattes, soit droit, soit renversé. Nouvel arrêt et nouveaux signes d’inquiétude lorsque la limite d’extension est atteinte. Alors, sans déranger la bête, sur la première petite pierre mettons-en une seconde. À l’aide de ce nouveau gradin, point d’appui pour ses leviers, l’insecte poursuit le travail. En ajoutant ainsi assise sur assise, à mesure qu’il en était besoin, j’ai vu le Scarabée, hissé sur une branlante pile de trois à quatre travers de doigt de hauteur, persister dans son œuvre jusqu’à complet arrachement de la pilule.

Y avait-il en lui quelque vague connaissance des services rendus par l’exhaussement de la base d’appui ? Je me permettrai d’en douter, bien que l’insecte ait fort habilement profité de ma plate-forme de petites pierres. Si, en effet, l’idée si élémentaire de faire usage d’une base plus haute pour atteindre à un objet trop élevé ne dépassait la portée de ses facultés, com-