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dioïque me servent de fil conducteur. De ma main libre, je fauche dans l’air, tout en cheminant. À chaque piqûre ressentie, c’est une ortie, c’est un jalon. Verlot, à l’arrière-garde, s’escrime aussi de son mieux et supplée la vue par la cuisante piqûre. Nos compagnons n’ont guère foi en ce mode de recherche. Ils parlent de continuer la descente furibonde, de rétrograder, s’il le faut, jusqu’à Bédoin. Plus confiant dans le flair botanique, qu’il possède si bien lui-même, Verlot se joint à moi pour insister dans nos recherches, pour rassurer les plus démoralisés et leur démontrer qu’il est possible, en interrogeant de la main les herbages, d’arriver au gîte malgré l’obscurité. On se rend à nos raisons ; et peu après, de touffe d’ortie en touffe d’ortie, la bande arrive au Jas.

Delacour y est, ainsi que le guide avec nos bagages, abrités à temps de la pluie. Un feu flambant et des vêtements de rechange ont bientôt ramené l’habituelle gaieté. Un bloc de neige, apporté du vallon voisin, est suspendu dans un sac devant le foyer. Une bouteille reçoit l’eau de fusion ; ce sera notre fontaine pour le repas du soir. Enfin la nuit se passe sur une couche de feuillage de hêtre, qu’ont triturée nos prédécesseurs ; et ils sont nombreux. Qui sait depuis combien d’années n’a pas été renouvelé ce matelas, aujourd’hui devenu terreau ! Ceux qui ne peuvent dormir ont pour mission d’entretenir le foyer. Les mains ne manquent pas pour tisonner, car la fumée, sans autre issue qu’un large trou produit par l’écroulement partiel de la voûte, emplit la hutte d’une atmosphère à fumer des harengs. Pour obtenir quelques bouffées respirables, il faut les chercher dans les couches les plus inférieures, le nez presque à terre. On tousse donc, on maugrée, on tisonne, mais vainement essaie-t-on de dormir. Dès deux heures du matin tout le monde est sur pied, pour gravir le cône terminal et assister au lever du soleil. La