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dit que la direction première se soit conservée, et que le mouvement de l’air n’arrive maintenant du nord. – Je partage vos doutes. Et alors ? – Alors, alors, voilà le difficile. Une idée : si le vent n’a pas tourné nous devons surtout être mouillés à gauche puisque la pluie a été reçue de ce côté tant que n’a pas été perdue notre orientation. S’il a tourné, la mouillure doit être à peu près égale de partout. Que l’on se tâte et décidons. Ça y est-il ? – Ça y est. – Et si je me trompe ? – Vous ne vous tromperez pas. »

En deux mots les collègues sont mis au courant de la chose. Chacun se palpe, non au dehors, exploration insuffisante, mais sous le vêtement le plus intime ; et c’est avec un soulagement indicible que j’entends déclarer à l’unanimité le flanc gauche bien plus mouillé que l’autre. Le vent n’a pas tourné. C’est bien : dirigeons-nous du côté de la pluie. La chaîne se reforme, moi en tête, Verlot à l’arrière-garde pour ne pas laisser de traînard. Avant de se lancer : « Eh bien, dis-je encore une fois à mon ami, risquons-nous l’affaire ? – Risquez ; je vous suis ». – Et nous piquons aveuglément une tête dans le redoutable inconnu.

Vingt enjambées n’étaient pas faites, vingt de ces enjambées dont on n’est pas maître sur les fortes pentes, que toute crainte de péril cesse. Sous nos pieds ce n’est pas le vide de l’abîme, c’est le sol tant désiré, le sol de pierrailles, qui croule derrière nous en longs ruissellements. Pour nous tous, ce cliquetis, signe de terre ferme, est musique divine. En quelques minutes est atteinte la lisière supérieure des hêtres. Ici l’obscurité est plus forte encore qu’au sommet de la montagne : il faut se courber jusqu’à terre pour reconnaître où l’on met les pieds. Comment, au sein de ces ténèbres, trouver le Jas, enfoui dans l’épaisseur du bois ? Deux plantes, assidue végétation des points hantés par l’homme, le Chénopode Bon-Henri et l’Ortie