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le sud. Jamais, non, jamais, je n’ai compris la valeur des points cardinaux comme en ce moment-là. Tout autour de nous est l’inconnu de la nuée grise ; sous nos pieds nous distinguons tout juste la naissance d’une pente d’ici et d’une pente de là. Mais quelle est la bonne ? Il faut choisir et se précipiter de confiance. Si par malheur nous descendons la pente nord, nous courons nous fracasser dans les précipices dont la vue seule tantôt nous inspirait l’effroi. Pas un n’en reviendra peut-être. J’eus là quelques minutes de poignante perplexité.

Restons ici, disaient la plupart ; attendons la fin de la pluie. Mauvais conseil, répliquaient les autres, et j’étais du nombre ; mauvais conseil : la pluie peut durer longtemps, et mouillés comme nous le sommes, aux premières fraîcheurs de la nuit nous gèlerons sur place. Mon digne ami Bernard Verlot, venu tout exprès du Jardin des Plantes de Paris pour faire avec moi l’ascension du Ventoux, montrait un calme imperturbable, s’en remettant à ma prudence pour sortir de ce mauvais pas. Je le tire un peu à l’écart, afin de ne pas augmenter la panique des autres, et lui dévoile mes terribles appréhensions. Un conciliabule est tenu à nous deux : nous cherchons à suppléer par la boussole de la réflexion l’aiguille aimantée absente. « Quand les nuages sont venus, lui disais-je, c’est bien par le sud ? – C’est parfaitement par le sud. – Et, quoique le vent fût presque insensible, la pluie avait une légère inclinaison du sud au nord ? – Mais oui : j’ai constaté cette direction tant que j’ai pu me reconnaître. N’avons-nous pas là de quoi nous guider ? Descendons du côté d’où vient la pluie. – J’y avais songé, mais des doutes me prennent. Le vent est trop faible pour avoir une direction bien déterminée. C’est peut-être un souffle tournant, comme il s’en produit au sommet de la montagne lorsque des nuages l’enveloppent. Rien ne me