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siasme du saucisson ; tous enfin sont unanimes pour célébrer les fromages au Pébré d’asé, pas plus grands que la paume de la main. Bref, pipes et cigares s’allument, et l’on s’étend sur l’herbe, le ventre au soleil.

Après une heure de repos : debout ! le temps presse ; il faut se remettre en marche. Le guide, avec les bagages, s’en ira seul, vers l’ouest, en longeant la lisière des bois, où se trouve un sentier praticable aux bêtes de somme. Il nous attendra au Jas ou Bâtiment, situé à la limite supérieure de hêtres, vers 1550 mètres d’altitude. Le Jas est une grande hutte en pierres qui doit nous abriter la nuit, bêtes et gens. Quant à nous, poursuivons l’ascension et atteignons la crête, que nous suivrons pour gagner avec moins de peine la cime terminale. Du sommet, après le coucher du soleil, nous descendrons au Jas, où le guide sera depuis longtemps arrivé. Tel est le plan proposé et adopté.

La crête est atteinte. Au sud se déroulent, à perte de vue, les pentes, relativement douces, que nous venons de gravir ; au nord, la scène est d’une grandiose sauvagerie : la montagne, tantôt coupée à pic, tantôt disposée en gradins d’une effrayante déclivité, n’est guère qu’un précipice d’un kilomètre et demi de hauteur. Toute pierre lancée ne s’arrête plus et bondit de chute en chute jusqu’au fond de la vallée, où se distingue, comme un ruban, le lit du Toulourenc. Tandis que mes compagnons ébranlent des quartiers de roche et les font rouler dans l’abîme pour en suivre l’épouvantable dégringolade, je découvre, sous l’abri d’une large pierre plate, une vieille connaissance entomologique, l’Ammophile hérissée, que j’avais toujours rencontrée isolée sur les berges des chemins de la plaine, tandis qu’ici, presque à la cime du Ventoux, je la trouve au nombre de quelques centaines d’individus groupés en tas sous le même abri.

J’en étais à rechercher les causes de cette populeuse