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fouleront les sombres coussinets de la Saxifrage à feuilles opposées, la première plante qui s’offre au botaniste débarquant, en juillet, sur le rivage du Spitzberg. En bas, dans les haies, vous avez récolté les fleurs écarlates du Grenadier, ami du ciel africain ; là-haut, vous récolterez un petit Pavot velu, qui abrite ses tiges sous une couverture de menus débris pierreux, et déploie sa large corolle jaune dans les solitudes glacées du Groenland et du cap Nord, comme sur les pentes terminales du Ventoux.

De tels contrastes ont toujours saveur nouvelle ; aussi vingt-cinq ascensions n’ont-elles pu encore amener en moi la satiété. En août 1865, j’entreprenais la vingt-troisième. Nous étions huit : trois dont le mobile était la botanique, cinq alléchés par une course dans les montagnes et le panorama des hauteurs. Aucun de nos cinq compagnons étrangers à l’étude des plantes n’a, depuis, manifesté le désir de m’accompagner une seconde fois. C’est qu’en effet l’expédition est rude, et la vue d’un lever de soleil ne dédommage pas des fatigues endurées.

On ne saurait mieux comparer le Ventoux qu’à un tas de pierres concassées pour l’entretien des routes. Dressez brusquement le tas à deux kilomètres de hauteur, donnez-lui une base proportionnée, jetez sur le blanc de sa roche calcaire la tache noire des forêts, et vous aurez une idée nette de l’ensemble de la montagne. Cet amoncellement de débris, tantôt petits éclats, tantôt quartiers énormes, s’élève dans la plaine sans pentes préalables, sans gradins successifs, qui rendraient l’ascension moins pénible en la divisant par étapes. L’escalade immédiatement commence par des sentiers rocailleux, dont le meilleur ne vaut pas la surface d’un chemin récemment empierré ; et se poursuit, toujours plus rude, jusqu’au sommet, dont l’altitude mesure 1912 mètres. Frais gazons, gais ruisselets,