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sans renouveler innocemment le désastre amené par la semelle de mes deux conscrits.

Si ce n’est pas le passant que vos inexplicables occupations intriguent, ce sera le garde champêtre, l’intraitable représentant de la loi au milieu des guérets. Depuis longtemps il vous surveille. Il vous a vu si souvent errer, de çà, de là, sans motif appréciable, comme une âme en peine ; si souvent il vous a surpris fouillant le sol, abattant avec mille précautions quelque pan de paroi dans un chemin creux, qu’à la fin des suspicions lui sont venues en votre défaveur. Bohémien, vagabond, rôdeur suspect, maraudeur, ou tout au moins maniaque, vous n’êtes pas autre chose pour lui. Si la boîte d’herborisation vous accompagne, c’est à ses yeux la boîte à furet du braconnier, et l’on ne lui ôterait pas de la cervelle que vous dépeuplez de lapins tous les clapiers du voisinage, dédaigneux des lois de la chasse et des droits du propriétaire. Méfiez-vous. Si pressante que devienne la soif, ne portez la main sur la grappe de la vigne voisine : l’homme à la plaque municipale serait là, heureux de verbaliser pour avoir enfin l’explication d’une conduite qui l’intrigue au plus haut point.

Je n’ai jamais, je peux me rendre cette justice, commis pareil méfait, et cependant un jour, couché sur le sable, absorbé dans les détails de ménage d’un Bembex, tout à coup j’entends à côté de moi : « Au nom de la loi, je vous somme de me suivre ! » C’était le garde champêtre des Angles qui, après avoir épié vainement l’occasion de me prendre en défaut, et chaque jour plus désireux du mot de l’énigme lui tourmentant l’esprit, s’était enfin décidé à une brutale sommation. Il fallut s’expliquer. Le pauvre homme ne parut nullement convaincu. — « Bah ! bah ! fit-il, vous ne me ferez jamais accroire que vous venez ici vous rôtir au soleil uniquement pour voir voler des mouches. Je ne vous perds pas de vue, vous savez ! Et