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les mobiles de l’acte. Darwin a vu ce qu’il nous dit, seulement il s’est mépris sur le héros du drame, sur le drame lui-même et sa signification. Il s’est profondément mépris, et je le prouve.

Et d’abord, le vieux savant anglais devait être assez versé dans la connaissance des êtres qu’il ennoblit si libéralement, pour appeler les choses par leur nom. Prenons alors le mot Sphex dans sa rigueur scientifique. Dans cette hypothèse, par quelle étrange aberration ce Sphex d’Angleterre, s’il y en a dans ce pays, choisissait-il pour proie une mouche lorsque ses congénères chassent un gibier si différent, des Orthoptères ? En admettant même, à mon sens, l’inadmissible, une mouche pour gibier de Sphex, d’autres impossibilités se pressent. Il est maintenant d’évidence que les Hyménoptères fouisseurs n’apportent pas à leurs larves des cadavres, mais une proie seulement engourdie, paralysée. Que signifie alors cette proie dont le Sphex coupe la tête, l’abdomen, les ailes ? Le tronçon emporté n’est plus qu’un morceau de cadavre, qui souillerait de son infection la cellule, sans être d’aucune utilité pour la larve, dont l’éclosion n’aura lieu que quelques jours après. C’est aussi clair que le jour : en faisant son observation, Darwin n’avait pas devant lui un Sphex dans le sens rigoureux du mot. Qu’a-t-il donc vu ?

Le terme de mouche, par lequel est désignée la proie saisie, est un mot fort vague, qui peut s’appliquer à la majorité de l’ordre immense des Diptères, et nous laisse par conséquent indécis entre des milliers d’espèces. L’expression de Sphex est très-probablement, elle aussi, prise dans un sens aussi peu déterminé. Sur la fin du dernier siècle, à l’époque où parut le livre de Darwin, on désignait par cette expression non seulement les Sphégiens proprement dits, mais en particulier les Crabroniens. Or, parmi ces derniers, quelques-uns, pour l’approvisionnement des larves, chassent des Diptères,